Notion et cadre juridique de l’urgence du marché intérieur
La notion d’« urgence du marché intérieur » désigne, dans le contexte du droit de l’Union, des situations dans lesquelles des circonstances exceptionnelles entraînent ou menacent immédiatement de manière significative le bon fonctionnement du marché intérieur de l’Union européenne (UE). L’objectif des mesures potentielles en cas d’urgence du marché intérieur est de garantir la libre circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux (« libertés fondamentales ») pendant et après des situations de crise. Les approches réglementaires juridiques visent à permettre des mesures temporaires, coordonnées et proportionnées afin de maintenir le marché intérieur européen. La base de ces mesures réside dans le droit de l’Union européenne, notamment sur la base des traités constitutifs et des instruments de droit dérivé qui en découlent.
Évolution du cadre juridique
Bases conventionnelles
Les traités sur l’Union européenne (TUE) et sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) consacrent le principe du marché intérieur ainsi que ses libertés fondamentales essentielles (art. 26, 28 et suivants, 45 et suivants, 56 et suivants, et 63 et suivants TFUE). Dès les principes fondamentaux, il découle une obligation pour les États membres de s’abstenir de toute mesure susceptible de porter atteinte au marché intérieur. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles telles que des catastrophes, des menaces graves pour la santé publique ou d’autres crises exceptionnelles, des restrictions temporaires et des mécanismes de coordination sont indiqués.
Évolutions du droit dérivé
La pandémie de COVID-19 a mis en évidence des lacunes en matière de gestion commune des crises et de dérogations au marché intérieur. En septembre 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement visant à créer un instrument d’urgence pour le marché intérieur (« Single Market Emergency Instrument ») (COM[2022]459). L’objectif est d’assurer une action cohérente à l’échelle de l’Union en cas d’urgence du marché intérieur, tout en limitant l’impact sur le fonctionnement du marché intérieur.
L’instrument d’urgence pour le marché intérieur (IMI) a été conçu comme une réponse aux mesures de crise non coordonnées ou disparates prises par certains États membres et prévoit notamment les mécanismes juridiques suivants :
- Définition et constatation de l’urgence : Fixation de critères objectifs et adoption d’une décision formelle constatant la situation d’urgence du marché intérieur par le Conseil sur proposition de la Commission.
- Mécanismes de coordination : Mise en place d’une structure de coordination, typiquement sous la forme d’un comité d’urgence spécifique pour le marché intérieur (« comité de pilotage des résultats du marché intérieur »).
- Mesures temporaires : Pouvoir d’adopter des recommandations ou des mesures contraignantes, telles que des autorisations d’urgence, la suspension temporaire de certaines règles du marché intérieur ou la réalisation accélérée des procédures d’autorisation et de certification.
- Suivi et évaluation : Obligation pour les États membres de notifier les mesures nationales ainsi que de procéder à l’examen régulier et à l’évaluation de l’efficacité des mesures au niveau du marché intérieur.
Mise en œuvre nationale et rapport au droit interne
L’instrument d’urgence est conçu comme un règlement d’application directe au niveau du droit de l’Union et prévaut en tant que tel sur les dispositions nationales. Toutefois, les mesures nationales d’accompagnement qui sont prises en cas d’urgence du marché intérieur ne peuvent être adoptées que dans le cadre fixé par le droit de l’Union. L’obligation de coordination reste impérative.
Dimensions substantielles de l’urgence du marché intérieur
Conditions et déclenchement
Le champ d’application d’une urgence du marché intérieur est strictement réservé à des situations d’exception majeures (par exemple, pandémies, catastrophes naturelles, interruptions graves de chaînes d’approvisionnement, perturbations du marché dues à la guerre ou au terrorisme). La constatation d’une telle urgence est soumise au contrôle et à l’approbation des organes de l’Union.
À la différence d’autres régimes d’état d’urgence (par exemple en matière de sécurité intérieure ou de défense), l’urgence du marché intérieur concerne principalement l’infrastructure économique et la garantie du fonctionnement du marché intérieur, notamment le maintien de la sécurité d’approvisionnement supranationale et d’une circulation fluide des marchandises.
Admissibilité et limitations des mesures
D’éventuelles mesures visant à gérer une urgence du marché intérieur doivent respecter le principe général de proportionnalité et l’interdiction de discrimination issus du droit de l’Union (art. 5 TUE conjointement avec l’art. 18 TFUE). Elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la gestion de la crise et doivent être limitées dans le temps. Les mesures sont soumises à un contrôle strict de la Commission, du Conseil et, le cas échéant, du Parlement européen.
Effets juridiques et obligations de droit
La constatation d’une urgence du marché intérieur modifie le champ d’application habituel du droit du marché intérieur. Ainsi, par exemple, pour certaines périodes, des réglementations nationales (par exemple autorisations spéciales, dérogations, interdictions d’importation nationales) peuvent être harmonisées, suspendues ou appliquées différemment à l’échelle de l’Union.
En outre, le cadre d’urgence établit des obligations spécifiques d’information, de coopération et de rapport pour les États membres. Les dérogations nationales demeurent strictement limitées à ce qui est absolument nécessaire. Dépasser les compétences fixées par le droit de l’Union peut entraîner des conséquences administratives, voire juridictionnelles.
Protection juridique et contrôle
Contrôle et abrogation des mesures d’urgence pour le marché intérieur
Les mesures liées à une urgence du marché intérieur sont soumises à des procédures de contrôle juridique de l’Union. Les personnes physiques et morales disposent en principe d’un accès aux juridictions de l’Union, notamment en vertu de l’art. 263 TFUE. Le contrôle porte sur des critères formels et matériels, y compris le respect des droits fondamentaux et l’interdiction de discrimination.
La levée de l’urgence du marché intérieur intervient après constatation de la disparition du dysfonctionnement et implique que toutes les dérogations temporaires doivent être abrogées. Le retour au fonctionnement normal doit être documenté de manière exhaustive.
Rapports avec d’autres régimes d’urgence
Le régime d’urgence du marché intérieur se distingue des autres régimes de crise relevant du droit de l’Union (par exemple en matière de protection civile, de défense civile ou d’aides d’État). Des interfaces peuvent exister, en particulier dans le cadre de la coordination de divers régimes d’urgence. Toutefois, le champ d’application spécifique du droit du marché intérieur et sa stabilité demeure prioritaire.
Importance et perspectives
Le développement de l’instrument d’urgence pour le marché intérieur reflète l’importance croissante de mécanismes de crise coordonnés à l’échelle de l’Union. Compte tenu de la mondialisation et de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, une gestion de crise flexible mais juridiquement encadrée est indispensable. La mise en œuvre et l’évolution du cadre juridique restent l’objet de la législation propre à l’Union et de l’adaptation à l’expérience internationale lors des crises.
L’urgence du marché intérieur s’est imposée dans la terminologie de l’Union comme un instrument de crise autonome visant à garantir, stabiliser et faire respecter les libertés fondamentales européennes, et continuera à gagner en importance à l’avenir.
Remarque : La présente présentation esquisse le régime de l’urgence du marché intérieur selon le droit de l’Union actuel et les réglementations prévues. Les adaptations par des mesures législatives futures devront être prises en compte.
Foire aux questions
Quels instruments juridiques peuvent être activés dans le cadre d’une urgence du marché intérieur ?
Dans le cadre d’une urgence du marché intérieur, différents instruments juridiques peuvent être activés au niveau de l’UE pour préserver l’intégrité et la fonctionnalité du marché intérieur. Parmi les principaux figurent le règlement sur les mesures d’urgence pour le marché intérieur, qui sert de base légale pour des mesures temporaires. En outre, des actes législatifs sectoriels, tels que les dispositions d’urgence dans les secteurs de la santé ou des chaînes d’approvisionnement, peuvent être utilisés. La Commission peut adopter des actes d’exécution, afin d’accélérer, par exemple, la mise à disposition temporaire de marchandises ou de services ou d’autoriser des dérogations à certaines règles du marché intérieur. Le principe de proportionnalité doit toujours être respecté et les dérogations ne doivent limiter les libertés fondamentales (libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux) que dans la mesure strictement nécessaire.
Quel rôle joue le principe de subsidiarité en cas d’urgence du marché intérieur ?
Le principe de subsidiarité garantit que les mesures visant à gérer une urgence du marché intérieur sont prises au niveau le plus approprié. Cela signifie que l’UE n’intervient que lorsque les objectifs ne peuvent pas être atteints de manière suffisante aux niveaux national, régional ou local. Juridiquement, l’art. 5 TUE oblige les institutions de l’UE à examiner et justifier la subsidiarité et la proportionnalité dans toute mesure d’urgence. En pratique, cela implique qu’avant d’activer des mesures d’urgence, il faut d’abord vérifier si les États membres peuvent agir efficacement par eux-mêmes ou si une intervention de l’UE est justifiée et nécessaire.
Comment la coordination juridique entre les États membres est-elle assurée pendant une urgence du marché intérieur ?
En cas d’urgence, le règlement sur l’urgence du marché intérieur fixe des procédures juridiques pour la coordination des mesures entre les États membres. Cela inclut des obligations régulières d’information, la création d’un groupe de coordination d’urgence ainsi que le rôle central de la Commission européenne comme instance de coordination. Les États membres sont tenus de notifier à la Commission toutes les mesures envisagées et prises, afin de garantir la transparence et la cohérence globale des mesures et d’éviter toute distorsion de concurrence. La Commission peut émettre des recommandations ou même ordonner des mesures autonomes si des mesures nationales affectent de manière disproportionnée le marché intérieur.
Quelles sont les limitations juridiques pour les mesures nationales en cas d’urgence du marché intérieur ?
Les mesures nationales ne doivent pas restreindre la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux au-delà de ce qui est nécessaire. Elles doivent reposer sur une base légale claire et être compatibles avec la Charte des droits fondamentaux de l’UE. La Commission peut engager une procédure en manquement contre des mesures nationales disproportionnées ou discriminatoires en vertu de l’article 258 TFUE. Par ailleurs, les mesures nationales d’urgence doivent être limitées dans le temps, transparentes et proportionnées.
Quelles sont les exigences en matière de sécurité juridique et de transparence dans le régime d’urgence ?
La sécurité juridique exige que toutes les mesures liées à une urgence du marché intérieur reposent sur des bases juridiques claires, prévisibles et publiées. Les mesures tant de l’UE que des États membres doivent être publiées, expliquées et rendues accessibles sans délai. Il existe également une obligation d’information et de consultation auprès des entreprises et des citoyens concernés, en particulier lorsque les libertés fondamentales sont restreintes. Les dispositions floues ou rétroactives sont interdites et peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel.
Quels mécanismes de contrôle juridique existent pour les mesures d’urgence ?
Les mécanismes de contrôle juridique incluent à la fois un contrôle juridictionnel et un contrôle politique. Les entreprises et citoyens peuvent contester les mesures devant les juridictions nationales ainsi que devant la Cour de justice de l’Union européenne – notamment au moyen d’un recours en annulation ou en carence en vertu des articles 263/265 TFUE. Parallèlement, les mesures d’urgence font l’objet d’un contrôle parlementaire par le Parlement européen et le Conseil, notamment lorsque la Commission adopte des actes délégués ou d’exécution.
Quelle est la durée maximale de validité des mesures d’urgence et comment se termine-t-elle ?
Les mesures d’urgence sont en principe limitées à une période déterminée, fixée dans la base juridique correspondante. Une prorogation au-delà de ce délai nécessite un nouvel examen juridique et, le cas échéant, l’accord des États membres ou des institutions européennes. La fin des mesures intervient soit automatiquement à l’expiration du délai, soit par décision formelle de la Commission, dès que la perturbation du marché intérieur a cessé. Les entreprises et citoyens doivent être informés en temps utile de la levée ou de la prolongation des mesures.