La décision de Lisbonne / L’arrêt de Lisbonne
Introduction et explication des termes
Les notions Décision de Lisbonne und Arrêt de Lisbonne renvoient à la décision fondamentale de la Cour constitutionnelle fédérale du 30 juin 2009 concernant le traité de Lisbonne (affaire 2 BvE 2/08 et autres). Il s’agit de l’arrêt central sur la compatibilité du traité de Lisbonne avec la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne. L’arrêt de Lisbonne expose de manière exhaustive les cadres constitutionnels de la participation allemande à l’Union européenne et en détermine les limites ainsi que les possibilités d’intervention du législateur allemand dans le processus d’intégration européenne.
Contexte historique
Le traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a réformé les structures fondamentales et les processus décisionnels de l’Union européenne. Il a remplacé le projet de Constitution européenne, lequel avait échoué en 2005 en raison de l’opposition de plusieurs États membres. L’objectif du traité était de rendre l’Union plus démocratique, plus transparente et plus efficace. Les changements majeurs concernaient notamment le renforcement du Parlement européen, l’introduction d’un président permanent du Conseil européen ainsi que l’extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres.
Motif de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale
Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, un grand nombre de recours constitutionnels et de procédures de conflit d’organes ont été déposés auprès de la Cour constitutionnelle fédérale. Les plaignants dénonçaient notamment une éventuelle renonciation aux droits de souveraineté de l’Allemagne ainsi qu’une violation des principes démocratique et de l’État de droit de la Loi fondamentale.
Bases et questions juridiques
Critères de contrôle de la Cour constitutionnelle fédérale
La Cour constitutionnelle a examiné dans le cadre de ses compétences notamment :
- La compatibilité du traité de Lisbonne et des lois d’accompagnement avec la Loi fondamentale, notamment avec la garantie d’intangibilité prévue à l’article 79, alinéa 3, GG.
- Les effets du processus d’intégration européenne sur le principe démocratique (art. 20, al. 1 et 2 GG), le principe de l’État de droit, ainsi que le principe de la souveraineté populaire.
- La portée et la limitation du transfert de compétences souveraines à l’Union européenne.
Contenu central et principales conclusions de l’arrêt de Lisbonne
Compatibilité du traité de Lisbonne avec la Loi fondamentale
La Cour a déclaré que le traité de Lisbonne était en principe compatible avec la Loi fondamentale. Le transfert de compétences souveraines à l’UE reste admissible sous réserve que les conditions suivantes soient respectées :
- Le noyau essentiel de l’ordre constitutionnel, en particulier les principes de démocratie, d’État social et d’État de droit, ne doit pas être vidé de sa substance par l’intégration européenne (ce qu’on appelle l’identité constitutionnelle résistante à l’intégration).
- L’Union européenne demeure une union d’États, c’est-à-dire une entité interétatique dotée de certaines compétences conférées par les États membres (pas d’État fédéral, pas de fédéralité de l’UE).
Principe de l’attribution limitée et précise des compétences
La Cour constitutionnelle fédérale a souligné le principe de l’attribution limitée et précise des compétences (art. 5 TUE et art. 23, al. 1 GG), selon lequel l’UE n’intervient que dans les domaines pour lesquels les États membres lui ont explicitement conféré des compétences. Une extension autonome des compétences (« compétence-compétence ») par les organes de l’UE est exclue.
Principe démocratique et participation de la République fédérale d’Allemagne
Le point essentiel de l’arrêt est la garantie de la légitimation démocratique au niveau national. La Cour considère la participation du Parlement comme le mécanisme de protection central : le gouvernement fédéral est tenu d’informer le Parlement de manière exhaustive et de recueillir son accord lors des principales étapes de l’intégration. Cela inclut notamment toute nouvelle étape d’intégration ainsi que toute modification des traités existants ou l’utilisation de ce que l’on appelle les clauses passerelles.
Lois d’accompagnement au traité de Lisbonne
La Cour constitutionnelle fédérale a déclaré la loi d’approbation du traité de Lisbonne conforme à la constitution, mais a relevé des carences dans les lois d’accompagnement, en particulier dans la loi sur l’élargissement et le contrôle des droits de participation du Bundestag et du Bundesrat. Les corrections portaient sur la garantie de droits de participation étendus de la représentation du peuple allemand dans le cadre de la poursuite de l’intégration européenne.
Contrôle ultra vires et contrôle d’identité
La Cour s’est réservé la possibilité de soumettre à un contrôle propre les actes des organes de l’UE qui dépasseraient leur mandat (« ultra vires ») ou qui porteraient atteinte aux principes fondamentaux de la Loi fondamentale (« contrôle d’identité »). Ainsi, la Cour constitutionnelle fédérale demeure l’ultime instance pour la protection de l’ordre constitutionnel allemand.
Conséquences de l’arrêt de Lisbonne
Importance pour le processus d’intégration européenne
L’arrêt de Lisbonne exerce une influence déterminante sur la conception allemande de l’intégration européenne :
- Il établit la notion d’un État « souverain au sein de l’union », dans lequel la souveraineté ultime reste entre les mains du législateur allemand.
- L’importance du contrôle parlementaire dans la participation de l’Allemagne au niveau européen a été durablement renforcée.
- La législation européenne et les modifications des traités nécessitent une base démocratique suffisante.
Effets juridiques ultérieurs et évolutions
Les mécanismes de contrôle ultra vires et de l’identité ont trouvé application dans des décisions ultérieures de la Cour constitutionnelle fédérale, comme l’arrêt PSPP du 5 mai 2020 sur la Banque centrale européenne. Le rôle du Bundestag ainsi que du Bundesrat en tant que gardiens de l’intégration a ensuite été précisé. Cela vaut notamment pour les obligations d’information (art. 23 GG) et la nécessité d’un accord parlementaire explicite lors de modifications substantielles.
Appréciation critique et réception
L’arrêt a fait l’objet de débats à l’échelle européenne et a parfois été critiqué, car il postule un contrôle national sur l’évolution du droit européen et crée ainsi potentiellement des tensions vis-à-vis de l’autonomie du droit européen. Les partisans voient dans cet arrêt une confirmation démocratique nécessaire et une protection de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne.
Résumé
L’arrêt de Lisbonne de la Cour constitutionnelle fédérale constitue une étape majeure dans l’évolution constitutionnelle allemande. Il garantit le contrôle démocratique et la participation à l’intégration européenne, et définit les conditions régissant le transfert de compétences à l’Union européenne. L’arrêt maintient un équilibre entre l’unification européenne et la souveraineté nationale, et demeure depuis lors un point de référence central pour l’évaluation et le développement ultérieur de la politique européenne de l’Allemagne.
Littérature et liens complémentaires
- Cour constitutionnelle fédérale, décision du 30 juin 2009, réf. 2 BvE 2/08 et autres
- Traité sur l’Union européenne (TUE)
- Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
- Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (notamment art. 23, art. 20, art. 79 GG)
(Les sources et la littérature complémentaire se trouvent dans les textes juridiques respectifs et dans les décisions originales de la Cour constitutionnelle fédérale.)
Remarque : Le terme arrêt de Lisbonne ou décision de Lisbonne désigne exclusivement la décision précitée de la Cour constitutionnelle fédérale et constitue une notion-clé en droit constitutionnel allemand et européen.
Questions fréquemment posées
Quels étaient les principaux arguments juridiques ayant mené à la saisine de la Cour constitutionnelle fédérale dans le contexte du traité de Lisbonne ?
Plusieurs plaignants, dont des membres du Bundestag et d’éminents professeurs de droit public, invoquaient principalement une violation du principe démocratique, du principe de la souveraineté populaire ainsi qu’une protection insuffisante des compétences du Bundestag allemand. Ils soutenaient que le traité de Lisbonne entraînait un transfert de compétences souveraines à l’Union européenne d’une ampleur qui restreindrait fondamentalement la responsabilité d’intégration du Bundestag et du Bundesrat, ainsi que la marge de manœuvre du législateur allemand. Ils craignaient notamment ce qu’on appelle une « compétence-compétence » de l’UE, c’est-à-dire la capacité de s’octroyer de nouveaux pouvoirs sans la participation systématique des parlements nationaux. La question centrale était de savoir si le principe démocratique de la Loi fondamentale et les principes de participation parlementaire étaient respectés lors du transfert de droits de souveraineté.
Quel rôle le principe démocratique de la Loi fondamentale a-t-il joué dans l’arrêt de Lisbonne ?
La Cour constitutionnelle fédérale a placé le principe démocratique au sens de l’article 20, alinéas 1 et 2, ainsi que de l’article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale au centre de sa décision. Elle a souligné que tout transfert de compétences souveraines à des organisations supranationales, comme l’UE, ne porte pas atteinte à la chaîne de légitimation démocratique, c’est-à-dire l’ancrage dans le peuple allemand, à condition que le transfert repose sur un mandat suffisamment déterminé et contrôlable. Les organes de l’État allemand devaient donc disposer de droits de participation suffisants afin de pouvoir continuer à influencer et contrôler les décisions politiques essentielles. La Cour a donc exigé des lois d’accompagnement législatives qui tiennent compte des droits de participation et de contrôle du Bundestag et du Bundesrat.
Comment l’arrêt de Lisbonne protège-t-il la responsabilité d’intégration du Bundestag allemand ?
L’arrêt de Lisbonne a explicité pour la première fois la notion de responsabilité d’intégration comme principe constitutionnel. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, il s’agit du devoir du Bundestag d’accompagner, de surveiller et de contrôler activement le processus d’intégration. Concrètement, toute extension de compétences de l’UE ou modification des traités européens requiert l’approbation du Bundestag, seule garantie du maintien de la légitimation et de l’influence démocratiques. Par conséquent, la Cour a exigé que tous les droits de codécision des États membres soient rendus visibles et que le gouvernement fédéral soit légalement tenu d’informer et d’associer étroitement le Parlement.
Dans quelle mesure la Cour constitutionnelle fédérale a-t-elle souligné le principe de l’attribution limitée et précise des compétences ?
Dans son arrêt de Lisbonne, la Cour a rappelé le principe de l’attribution limitée et précise des compétences, déjà inscrit à l’article 5, alinéas 1 et 2, TUE et à l’article 23 GG. Cela signifie que l’UE n’agit que dans la limite des compétences expressément conférées par les États membres ; toute extension autonome des pouvoirs, autrement dit une compétence-compétence, est exclue. Les États membres restent les « maîtres des traités » et ne peuvent conférer d’autres compétences qu’au moyen d’actes d’approbation explicites et démocratiquement légitimés. Par cette clarification, la Cour a considérablement renforcé le contrôle des parlements nationaux sur l’intégration européenne.
Quelle importance la Cour constitutionnelle fédérale attache-t-elle à la garantie d’intangibilité de la Loi fondamentale dans le contexte de l’intégration européenne ?
La Cour a clairement indiqué que certains principes constitutionnels, en particulier la garantie d’intangibilité de l’article 79, alinéa 3, GG, ne peuvent être abandonnés ou modifiés sous aucune forme d’intégration européenne. Cette garantie protège notamment la structure fondamentale de l’État fédéral démocratique, de droit et social, ainsi que le principe de la souveraineté populaire. Par conséquent, la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré que la substance de l’identité constitutionnelle allemande reste intangible même au cours du processus d’intégration européenne et s’oppose, le cas échéant, à tout transfert supplémentaire de compétences souveraines.
Comment l’arrêt de Lisbonne a-t-il influencé les relations entre la Cour constitutionnelle fédérale et la Cour de justice de l’Union européenne ?
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale souligne qu’elle est fondamentalement prête à accepter les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) tant que celles-ci s’inscrivent dans les compétences transférées et ne portent pas atteinte aux garanties constitutionnelles fondamentales. En même temps, la cour allemande se réserve toutefois le droit, dans le cadre du « contrôle d’identité », y compris après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, de vérifier si des principes fondamentaux de la Constitution allemande sont violés par les actions ou la jurisprudence de l’UE. Ainsi, une réserve d’examen spécifique a été instaurée, faisant de la Cour le dernier gardien de l’identité constitutionnelle de l’Allemagne.
Quelles conséquences l’arrêt de Lisbonne a-t-il eues sur la procédure législative d’accompagnement en Allemagne ?
À la suite de son arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale a ordonné que le traité de Lisbonne ne puisse être ratifié qu’accompagné d’une nouvelle loi d’accompagnement nettement renforcée. Cette loi, le « Gesetz d’accompagnement au traité de Lisbonne », devait considérablement renforcer les droits d’information, de contrôle et de participation du Bundestag et du Bundesrat vis-à-vis du gouvernement fédéral dans toutes les affaires de l’UE. L’objectif était d’assurer un contrôle démocratique continu du processus d’intégration et de mettre en œuvre la responsabilité d’intégration du Parlement de façon effective. Cela a mené à une institutionnalisation significative des droits de participation parlementaires dans les développements législatifs liés à l’UE.