Définition et objet de la Convention de Lugano
La Convention de Lugano est un accord de droit international régissant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale entre les États membres de l’Union européenne (UE) et certains États tiers, notamment la Suisse, la Norvège et l’Islande. Elle constitue un instrument central de coordination et d’harmonisation de la justice transfrontalière dans l’espace judiciaire européen.
Cet accord est essentiellement fondé sur le Règlement Bruxelles I (Règlement [CE] n° 44/2001, désormais remplacé par le Règlement Bruxelles Ia [Règlement (UE) n° 1215/2012]) et institue des règles comparables pour les États hors UE appartenant à l’« Espace économique européen » (EEE). L’objectif est d’établir une confiance mutuelle dans le trafic juridique international et une exécution effective des décisions judiciaires.
Développement historique
Convention de Lugano de 1988
La Convention de Lugano initiale de 1988 fut conclue entre les États membres de l’ancienne Communauté européenne et les États de l’AELE. Elle a transposé le système de la « Convention de Bruxelles de 1968 » dans les relations avec l’Islande, la Norvège et la Suisse.
Convention de Lugano de 2007
En 2007, la Convention a été fondamentalement modernisée et actualisée afin de refléter le Règlement Bruxelles I d’alors. Cette version, désignée comme « Convention de Lugano II », reste en vigueur à ce jour.
États contractants
Les États suivants ont adhéré à la Convention de Lugano de 2007 :
- États membres de l’Union européenne (UE)
- Suisse
- Norvège
- Islande
- Le Danemark en son nom propre (cas particulier avec solution de non-participation au sein de l’UE)
La liste des États contractants peut évoluer en cas d’élargissement ou de retrait ; la situation de ratification respective est déterminante.
Champ d’application
Champ d’application matériel
La Convention de Lugano s’applique aux matières civiles et commerciales, dans la mesure où elles ne sont pas expressément exclues de son champ d’application. Sont notamment exclus :
- Affaires fiscales et douanières
- Questions de droit administratif
- État des personnes, régimes matrimoniaux et successions
- Procédures d’insolvabilité (régies notamment par des règlements européens spécifiques)
- Arbitrage
Champ d’application territorial
La Convention régit les cas présentant un élément d’extranéité, lorsque les juridictions de plusieurs États contractants sont impliquées ou que des décisions transfrontalières doivent être exécutées.
Système et contenu juridique
Règles relatives à la compétence judiciaire
La Convention de Lugano comporte des dispositions complètes concernant la compétence judiciaire internationale. Les principaux axes sont :
- Le principe général de compétence au domicile du défendeur (art. 2 et suiv.)
- Compétences spéciales, notamment pour les obligations contractuelles et extracontractuelles, les affaires d’aliments ainsi que le droit des assurances, des consommateurs et du travail (art. 5 et suiv.)
- Compétences exclusives ou spéciales, par exemple en droit immobilier, droit des sociétés, inscriptions dans des registres publics (art. 22)
- Élections de for et leurs conditions (art. 23)
- Obligations de vérification imposées à la juridiction saisie quant à sa propre compétence internationale
Reconnaissance et exécution des décisions
Principe de reconnaissance mutuelle
Les décisions rendues par les juridictions d’un État contractant sont en principe reconnues dans les autres États contractants sans qu’une procédure de reconnaissance spéciale ne soit nécessaire (art. 33).
Déclaration de force exécutoire (procédure d’exequatur)
L’exécution forcée d’une décision suppose une déclaration formelle de force exécutoire (« exequatur »), pour laquelle une procédure simplifiée est prévue dans la plupart des États contractants (art. 38 et suiv.).
Motifs de refus de reconnaissance et d’exécution
La reconnaissance ou l’exécution ne peut être refusée que pour des motifs strictement limités, notamment :
- Violation manifeste de l’ordre public (“ordre public”)
- Décisions contradictoires dans la même affaire
- Atteinte aux droits d’être entendu ou aux droits de la défense
Rapports avec d’autres accords internationaux
Selon le principe de spécialité, la Convention de Lugano prévaut sur d’autres traités plus anciens, à condition qu’ils traitent du même objet. En présence de conventions bi- ou multilatérales prioritaires, la convention peut toutefois être subsidiaire (art. 64).
Rapport avec le Règlement Bruxelles-Ia
Au sein de l’Union européenne, le Règlement Bruxelles Ia s’applique de façon prioritaire. Entre les États membres de l’UE et les autres États parties à la Convention de Lugano, le régime de Lugano s’applique. En particulier, pour la Suisse, la Norvège et l’Islande, la Convention de Lugano constitue, depuis le Brexit, un instrument de coordination clé pour les litiges civils et commerciaux transfrontaliers avec l’espace UE.
Importance pratique
La Convention de Lugano vise principalement à garantir la sécurité juridique et la prévisibilité dans les litiges transfrontaliers. Entreprises, particuliers et institutions peuvent compter sur la possibilité de faire exécuter les décisions de justice à l’étranger, dès lors que les parties concernées résident dans des États contractants.
Suite à la sortie du Royaume-Uni de l’UE (Brexit), la future participation du Royaume-Uni au système de Lugano représente également un point de débat important.
Réformes et perspectives d’avenir
L’évolution juridique au niveau européen a conduit à une adaptation continue de la Convention de Lugano, notamment pour rapprocher et moderniser les règles de compétence et d’exécution. Des modifications futures peuvent résulter en particulier de l’évolution de la législation de l’UE et des négociations d’adhésion d’autres États.
Références et sources
- Convention de Lugano du 30 octobre 2007 (JOUE L 339/3 du 21.12.2007)
- Règlement Bruxelles-Ia (Règlement [UE] n° 1215/2012)
- Commission européenne : Informations officielles sur la Convention de Lugano)
Remarque : Cet article constitue une présentation exhaustive mais synthétique de la Convention de Lugano. Pour les situations particulières, il est toujours recommandé de consulter la version en vigueur de la Convention ainsi que, le cas échéant, les lois nationales de transposition.
Questions fréquentes
Comment la Convention de Lugano régit-elle la compétence internationale des tribunaux ?
La Convention de Lugano prévoit des règles détaillées relatives à la compétence internationale des juridictions en matière civile et commerciale. En principe, le « principe du domicile » s’applique, selon lequel les personnes peuvent être poursuivies devant les juridictions de l’État dans lequel elles résident, indépendamment de leur nationalité. Des compétences particulières existent, par exemple pour les actions contractuelles (lieu d’exécution du contrat), les actions délictuelles (lieu du fait générateur du dommage) ainsi que pour d’autres cas d’exception comme les litiges concernant les sûretés et droits réels immobiliers (lieu de situation de l’immeuble). La Convention comporte également des règles particulières pour les litiges relatifs aux assurances, aux consommateurs et au travail, afin de protéger la partie faible en rendant parfois la compétence du tribunal impérative. Les juridictions doivent vérifier d’office leur compétence et sont tenues de surseoir à statuer ou de rejeter l’action lorsqu’une procédure parallèle est pendante et que la Convention prévoit des règles de priorité.
Quel rôle jouent les clauses d’élection de for dans la Convention de Lugano ?
La Convention de Lugano reconnaît en principe la validité des clauses d’élection de for, à condition qu’elles soient conclues par écrit ou sous une forme conforme aux usages. Les parties peuvent donc convenir à l’avance du tribunal compétent pour trancher leur litige. Toutefois, des restrictions existent : lors de contentieux en matière de consommation, de travail ou d’assurance, des règles plus strictes encadrent la validité et l’acceptabilité des clauses d’élection de for pour protéger la partie faible. Ces conventions ne sont valables que dans les cas énumérés et à certaines conditions, par exemple si elles sont conclues après la naissance du litige. La validité de la clause s’apprécie selon la loi du for choisi, qui prime sur la compétence générale ou spéciale, sauf application de l’une des exceptions prévues.
Comment la Convention de Lugano règle-t-elle la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers ?
La Convention de Lugano oblige les États contractants à reconnaître et à déclarer exécutoires les décisions judiciaires rendues dans d’autres États membres sans réexamen au fond de l’affaire (interdiction du réexamen au fond). Le refus de reconnaissance ne peut être prononcé que pour les motifs énumérés aux articles 34 et 35, notamment en cas de violation de l’ordre public, de défaut de notification régulière pour les jugements par défaut ou d’incompatibilité avec une décision antérieure. La procédure simplifiée d’exécution prévoit uniquement une déclaration formelle de force exécutoire (« exequatur ») dans l’État requis, sans examen du fond. Les motifs de refus sont limitativement énumérés, assurant ainsi un haut niveau de sécurité juridique et de prévisibilité.
Comment la Convention de Lugano réglemente-t-elle les procédures parallèles et le principe de « litispendance » ?
La Convention de Lugano établit le principe de litispendance afin d’éviter des décisions contradictoires et le « forum shopping ». Lorsqu’une action est portée devant la juridiction d’un État contractant, les juridictions des autres États doivent en principe surseoir à statuer jusqu’à ce que la compétence du premier tribunal saisi soit établie. Si la compétence est confirmée, les autres juridictions devront rejeter l’action. Ce système garantit la coordination procédurale, la clarté juridique et évite la poursuite d’une même demande dans plusieurs États. Des dispositions spécifiques existent pour les litiges connexes (« related actions ») afin de favoriser des décisions uniformes ou compatibles.
Quels effets la Convention de Lugano a-t-elle sur la protection des consommateurs ?
La protection des consommateurs occupe une place de choix dans la Convention de Lugano. Lorsque le consommateur est partie à un contrat, il peut intenter une action soit dans son propre État de résidence, soit dans celui du cocontractant. Si l’entreprise agit contre le consommateur, seule la juridiction du domicile du consommateur est compétente. Les clauses d’élection de for divergentes ne sont valables que sous certaines conditions strictes, notamment si elles sont conclues après la naissance d’un litige ou qu’elles sont plus avantageuses pour le consommateur. Cette protection renforcée vise à empêcher que le consommateur ne soit contraint, par des clauses désavantageuses, de poursuivre des litiges dans des États lointains ou inconnus.
La Convention de Lugano s’applique-t-elle également à l’arbitrage et aux accords d’arbitrage ?
La Convention de Lugano ne s’applique expressément pas à l’arbitrage ni aux questions y afférentes. Cela concerne aussi bien la compétence des juridictions pour les litiges liés à l’arbitrage que la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales. Les conventions d’arbitrage et leurs effets restent régies par les lois nationales d’arbitrage des États contractants et par des instruments internationaux tels que la Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Toutefois, des questions de délimitation complexes peuvent se poser en cas de chevauchement entre une procédure judiciaire entrant dans le champ de la Convention de Lugano et un arbitrage, nécessitant une interprétation au cas par cas.
Quelle est l’importance de la Convention de Lugano dans le contexte du droit européen de la compétence et de l’exécution ?
La Convention de Lugano s’inspire étroitement du Règlement Bruxelles-Ia (Règlement CE n° 1215/2012) et sert de pont pour la coopération juridique entre les États membres de l’UE et les États de l’AELE (Suisse, Norvège, Islande, mais actuellement pas le Royaume-Uni). Dans les relations entre États de l’UE, c’est cependant le Règlement Bruxelles-Ia qui s’applique en priorité. Pour les États tiers sans accord, c’est le droit international privé national qui reste applicable, ce qui peut, notamment pour les situations multipartites, soulever des questions de conflit de normes. Dans ce contexte, la Convention de Lugano garantit que des pans entiers du droit procédural civil européen demeurent applicables au-delà des membres de l’UE, assurant ainsi sécurité juridique et efficacité aux procédures transfrontalières dans l’espace économique européen.